mort by Frédéric Dard

mort by Frédéric Dard

Auteur:Frédéric Dard [Dard, Frédéric]
Format: epub
Éditeur: epocket
Publié: 2010-02-12T15:40:38+00:00


* * *

CHAPITRE XIII

TUYÉ

Ça fait une paie que je n’ai annoncé ma rognure à la Rhumerie Martiniquaise. L’occasion qui ne s’est pas présentée, vous savez ce que c’est ? Et pourtant j’aime bien ce coin parce qu’il me fait poirer. C’est là que je mesure combien Paris peut être fabriqué à certains moments et à certains endroits.

Une foule d’artistes plus ou moins talentueux (plutôt moin !), de bougnouls fils de rois nègres (ou de nervis marseillais), de pépées qui se croient intellectuelles et qui en profitent pour ne plus se laver le prose, hante ce coin en buvant du punch et en échangeant à voix sonore des idées définitives sur des sujets qui n’intéressent personne. Là-dedans, y a que les garçons qui restent vraiment humains, vraiment sincères… Eux ils n’ont qu’un but dans l’existence : se rappeler les commandes et ne pas laisser filer un mec qui n’a pas payé…

J’arrive jusqu’au comptoir, je trouve une place entre un Noir jaune et un Chinois bronzé et je commande un blanc froid.

C’est bon pour la grippe. Ça vous grimpe directo dans la calbasse.

Je bigle posément autour de moi, déchiffrant les frites qui grouillent. Je finis par sortir du lot deux barbus. L’un est brun, l’autre blond. Celui qui est brun ne m’intéresse pas. Du reste il est seul à une table et potasse un bouquin énorme.

L’autre est en joyeuse compagnie. Trois potes et deux souris existentialistes jacassent plus fort que lui, si c’est possible. Ils se racontent de joyeuses gaudrioles et me paraissent un peu schlass.

Je prête l’esgourde. C’est duraille de percevoir ce qu’ils bonnissent au milieu de ce brouhaha. Faut drôlement ouvrir ses étagères à mégots. Enfin j’entends l’une des filles appeler le barbu blond Phil… Ou je me fous le doigt dans l’œil ou ce charmant garçon est Philippe Tuyé, le pensionnaire du Mont-Chauve !

Satisfait, je commande un autre glass et je le sirote avec la même dévotion. Ce type paraît très excité. Il a dû biberonner comme une vache et maintenant il se prend pour Picasso et Matisse réunis.

Je demande mon ardoise au garçon. Je lui allonge un bif royal et je lui dis :

— Soyez gentil, mon pote, allez dire au petit barbichard blond, là-bas, s’il s’appelle Tuyé on le demande au téléphone, vu ?

Il me cligne de l’œil.

— O.K…

Je finis mon punch blanc, je croque la rondelle de citron qui rampe sur les parois du verre et, tranquillement, je me dirige vers la cabine téléphonique qui se situe dans l’arrière-salle, région des gogues…

Je n’attends pas longtemps. A peine ai-je poussé la lourde vitrée que je vois radiner Tuyé. Il a une démarche un peu flottante et il fronce les sourcils pour essayer de rajuster ses idées. Ce gigolpince ne doit pas être très coriace, j’ai idée. Pour peu que je lui fasse le grand jeu, il posera vite son pacson.

Il arrive devant la cabine, me bouscule pour y entrer, regarde l’appareil tranquillement posé sur sa fourche d’ébonite, le décroche, écoute la tonalité avec un air surpris et



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